Quel délai de prescription s’applique lorsqu’un salarié conteste son licenciement alors qu'il avait préalablement dénoncé des faits de harcèlement moral ?
En principe, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail doit être engagée dans un délai de douze mois à compter de la notification de la rupture (article L. 1471-1, alinéa 2, du Code du travail).
Cependant, ce délai ne s’applique pas lorsque l’action repose sur l’article L. 1152-1 du Code du travail, qui interdit le harcèlement moral. Dans ce cas, le salarié bénéficie du délai de droit commun de cinq ans, prévu par l’article 2224 du Code civil (Cass. Soc., 4 septembre 2024, n° 22-22.860).
La question s’est posée dans un arrêt du 9 octobre 2024 : quelle prescription peut être opposée à un salarié qui conteste son licenciement au motif qu’il a dénoncé des faits de harcèlement moral ?
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Référence à la dénonciation des faits dans la lettre de licenciement
Dans cette affaire, un salarié en CDI avait signalé par écrit à son employeur des faits de harcèlement moral dont il disait être victime depuis plusieurs années.
À la suite de cette dénonciation, l’employeur avait diligenté une enquête. Un an plus tard, le salarié avait été convoqué à un entretien préalable puis licencié pour cause réelle et sérieuse.
Estimant que son licenciement était en réalité motivé par sa dénonciation de harcèlement, il avait saisi le Conseil de prud’hommes deux ans après la rupture, demandant :
- la reconnaissance de la nullité de son licenciement,
- sa réintégration,
- le paiement de ses salaires perdus et diverses indemnités.
Les juges de première instance lui avaient donné raison. Toutefois, la Cour d’appel avait infirmé cette décision. Selon elle, la lettre de licenciement n’invoquait pas la dénonciation comme motif de rupture. Les griefs retenus étaient le refus d’accomplir certaines tâches, l’insubordination et un comportement agressif. Le simple fait que la lettre mentionne la dénonciation n’impliquait pas que celle-ci ait motivé le licenciement.
Conséquence : la Cour d’appel avait jugé que le délai de douze mois s’appliquait et que l’action du salarié, introduite après deux ans, était prescrite.
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Application du délai de cinq ans en cas de nullité du licenciement
Saisie du litige, la Cour de cassation rappelle le principe posé par l’article L. 1152-2 du Code du travail :
« Aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou pour les avoir relatés ou dénoncés. »
Elle en déduit que lorsqu’un licenciement est contesté sur ce fondement, le délai applicable est de cinq ans, et non douze mois.
Ainsi, même si la lettre de licenciement mentionne d’autres motifs, le délai de prescription quinquennal s’impose dès lors que l’action porte sur la dénonciation du harcèlement moral.
En conséquence, l’action du salarié était recevable, peu importe la formulation retenue dans la lettre de licenciement.
La Cour de cassation précise que cette solution s’applique également aux dénonciations de harcèlement sexuel. En effet, l’article L. 1471-1 du Code du travail exclut aussi le délai de douze mois pour les actions fondées sur l’article L. 1153-1 (relatif au harcèlement sexuel).
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Une protection renforcée, sauf en cas de mauvaise foi
Enfin, la Haute juridiction rappelle que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié.
Seule la mauvaise foi avérée pourrait justifier une sanction, c’est-à-dire si le salarié savait que les faits dénoncés étaient faux.
À ce titre, la Cour de cassation a déjà précisé que la protection du salarié s’applique même s’il n’emploie pas le terme « harcèlement », à condition que les faits rapportés soient suffisamment clairs pour être interprétés comme tels (Cass. Soc. 19 avril 2023, n° 21-21.053).
En résumé
✅ Si un salarié dénonce un harcèlement moral et est licencié ensuite, il peut contester son licenciement dans un délai de cinq ans, et non douze mois.
✅ Même si l’employeur invoque d’autres motifs, la prescription quinquennale s’applique.
✅ Seule une dénonciation faite de mauvaise foi (sciemment mensongère) peut être sanctionnée.
Cette décision s’inscrit dans une volonté de protection des salariés face aux représailles, en cohérence avec la législation sur le harcèlement.