Le juge administratif doit-il rouvrir l'instruction pour faire application d'une jurisprudence nouvelle ?
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Le juge administratif doit-il rouvrir l'instruction pour faire application d'une jurisprudence nouvelle ?

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France

Depuis la décision "CCI d'Angoulême" du Conseil d'Etat (CE, 19 avril 2013, req. n° 340093, publié au recueil Lebon), lorsque le juge administratif souhaite statuer en vertu d'une solution jurisprudentielle postérieure à la date de la clôture de l'instruction, il doit, au préalable, inviter les parties à présenter leurs observations lorsque cette jurisprudence nouvelle le conduit à "régler l'affaire sur un terrain dont les parties n'avaient pas débattu". 

Pour ce faire, il incombe au juge administratif :

  • (1) soit de rouvrir l'instruction en invitant les parties à s'exprimer sur les conséquences à tirer de la décision du Conseil d'Etat ;
  • (2) soit de juger, par un arrêt avant-dire droit, qu'il entend régler le litige sur le terrain de cette nouvelle solution jurisprudentielle, et en demandant en conséquence aux parties de formuler leurs observations sur ce terrain.

En effet, les exigences liées au respect d'une procédure contradictoire (voir notamment CE, 16 janvier 1976, Gate, req. n° 94150, publié au recueil Lebon) s'opposent à ce que le juge puisse régler un litige sur un "terrain juridique" dont les parties n'ont pas été mises à même de débattre. 

Le 1er octobre dernier, à l'occasion d'un contentieux relatif à un permis de construire, le Conseil d'Etat a eu l'occasion d'illustrer la possibilité pour le juge de faire application d'une solution jurisprudentielle nouvelle intervenue après la clôture de l'instruction sans en avoir, au préalable, averti les parties (CE, 1er octobre 2024, req. n° 469776, mentionné dans les tables du recueil Lebon). 

En l'espèce, pour déterminer si le permis attaqué présentait le caractère d'un permis de construire modificatif, une cour administrative d'appel a fait application d'une décision du Conseil d'État rendue postérieurement à la clôture de l'instruction et revisitant la définition du champ matériel du permis de construire modificatif, substituant le critère d'absence de bouleversement de la nature du projet à celui d'absence de remise en cause de sa conception générale (CE, 26 juillet 2022, req. n° 437765).

Toutefois, les parties n'avaient pas été averties que la cour entendait statuer par application de cette nouvelle définition jurisprudentielle du permis de construire modificatif.

En cassation, le Conseil d'Etat relève qu'en première instance, comme en appel, les parties avaient (i) débattu de la nature et de l'ampleur des modifications que le permis litigieux apportait au projet initial et (ii) versé au dossier l'ensemble des éléments de faits permettant de déterminer si les modifications étaient susceptibles d'apporter au projet un bouleversement tel qu'il en changeait la nature même. 

Dès lors, il juge que "les parties ayant pu débattre sur le terrain juridique sur lequel se situait le litige, la cour administrative d'appel pouvait, sans méconnaître le caractère contradictoire de la procédure, ne pas rouvrir l'instruction en invitant les parties à s'exprimer sur les conséquences à tirer de la décision […]".

Ainsi, cette décision montre que l'obligation d'information des parties et de réouverture de l'instruction n'est pas systématique, le changement de terrain juridique s'appréciant de manière casuistique au regard des écritures des parties et des motifs sur lesquels le juge fonde sa solution, et que l'obligation d'information fixée par la décision CCI d'Angoulême ne s'applique que si les données du litige se trouvent radicalement bouleversées pour les parties au procès (cf. conclusions du rapporteur public Thomas Janicot, p. 4).
 

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