L'augmentation des procédures de radiation en appel pour défaut d'exécution : une analyse des difficultés procédurales
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L'augmentation des procédures de radiation en appel pour défaut d'exécution : une analyse des difficultés procédurales

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Depuis l'instauration du principe des décisions exécutoires de plein droit à titre provisoire en première instance, le nombre de procédures de radiation pour défaut d'exécution a considérablement augmenté. Désormais, une véritable stratégie procédurale se joue en appel, lorsque l'appelant n'exécute pas la décision de première instance. Pour naviguer avec succès dans ce paysage procédural complexe, il est crucial pour les clients de travailler en amont avec leur Conseil. Cette collaboration permet d'optimiser les stratégies mises en place et de sécuriser les intérêts en jeu.

Introduction

Depuis le décret 2019-1133 du 11 décembre 2019, instaurant l'article 514 du Code de procédure civile, toutes les décisions de première instance civile et commerciale sont, de droit, exécutoires à titre provisoire, à moins que la loi ou que la décision rendue n'en dispose autrement.

L'apparente simplicité que semblait promouvoir l'instauration du principe d'exécution provisoire de plein droit a laissé place à une multiplication des contentieux de l'exécution ces dernières années. Chaque partie dispose désormais d'un solide arsenal procédural.

Procédure de radiation pour défaut d'exécution

En particulier, l'exécution provisoire de droit a entraîné une hausse des procédures de radiation en appel pour défaut d'exécution du jugement attaqué, prévues à l'article 524 du Code de procédure civile. Le Premier Président ou le Conseiller de la mise en état peut ordonner la radiation de l'appel, sur demande de l'intimé, lorsque que l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel, à moins qu'il apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant serait dans l'impossibilité d'exécuter la décision.

Aussi alléchante soit-elle, cette procédure est à manier avec précaution.

D'abord, la procédure de radiation pour défaut d'exécution est entachée d'une contrainte temporelle. L'intimé doit initier sa demande avant l'expiration de son délai pour conclure, former un appel incident, et notifier ses conclusions aux parties défaillantes "à peine d'irrecevabilité prononcée d'office". Ses délais (art. 906-2, 909, 910 et 911 du Code de procédure civile) sont ensuite suspendus jusqu'à l'éventuelle réinscription du rôle.

Ensuite, la demande de l'intimé qui ne suspend pas les délais de l'appelant (art. 906-2, 908 et 911 du Code de procédure civile) pour conclure est susceptible d'entraîner des complications procédurales. En effet, si l'intimé sollicite la radiation avant que l'appelant n'ait conclu, ce dernier doit respecter ses délais et en tout état de cause conclure avant l’audience d’incident. À défaut et si l’affaire devait être radiée, l’appelant serait dans l’impossibilité de régulariser des conclusions, à moins d'obtenir l’autorisation de réinscrire l’affaire. La vigilance est donc de mise.

Sur le fond, l'affaire ne peut être radiée qu'après que les observations des parties aient été recueillies. Cela implique, en pratique, que l’appelant puisse exciper des conséquences manifestement excessives qu'entraînerait l'exécution de la décision ou son impossibilité à l'exécuter.

Si cela n'est pas sans rappeler le contrôle exercé par le Premier Président de la Cour d'appel dans le cadre la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, la doctrine considère qu'en raison de l’atteinte possible au droit fondamental de relever appel et d'obtenir le bénéfice du double degré de juridiction, les conséquences manifestement excessives doivent être observées avec plus de bienveillance que dans le cadre du débat portant sur l’arrêt de l’exécution provisoire. Et c’est là tout l’intérêt de bâtir une stratégie procédurale avec son Conseil en cas d'inexécution de la décision de première instance.

Contrairement à la procédure de l'arrêt de l'exécution devant le Premier Président, la seule considération retenue dans le cadre de la procédure de radiation est celle de l'appréciation des conséquences immédiates de l'exécution, indépendamment de toute perspective d'infirmation de la décision. Cette considération peut, selon les spécificités du dossier, apparaître plus simple à rapporter ou à combattre.

Or, la jurisprudence récente montre une appréciation variée des conséquences manifestement excessives, tantôt du seul côté de l'appelant, tantôt également du côté de l'intimité.

Ainsi, des arrêts récents statuent explicitement qu'"A la différence des conséquences manifestement excessives requises pour arrêter l’exécution provisoire, par les articles 514-3 et 517-1 du code de procédure civile, qui sont appréciées au regard de l’impossibilité d’anéantir rétroactivement l’exécution en cas d’infirmation de la décision de première instance, la possibilité d’écarter la radiation, prévue par l’article 524 susvisé, implique d’apprécier les conséquences immédiates qu’entraînerait l’exécution à l’égard de la situation de l’appelant, indépendamment de toute perspective d’infirmation du jugement"[1].

D'autres jugent au contraire que "Les conséquences manifestement excessives s’apprécient au regard de la situation concrète et actuelle des parties, notamment de la faculté du débiteur à supporter la condamnation sans dommage irréversible et de celle du créancier à assumer le risque d’une éventuelle restitution"[2]. Les dissidences devraient conduire à un arrêt de de la Cour de cassation. Dans cette attente, la mise en œuvre de la stratégie par le Conseil supposera outre l’appréciation des faits du cas d’espèce, une approche à adapter en fonction des juridictions et chambres saisies.

Concours de procédures

Si la radiation est prononcée, en tant que simple mesure d'administration judiciaire, l'appel est toujours en cours. L’appelant peut saisir le Premier Président pour obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire tel que récemment rappelé par la Cour de cassation[3].

Le Premier Président est le seul compétent pour ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire et/ou la consignation des sommes. Sur le fondement de l'article 514-3 du Code de procédure civile, l'appelant doit démontrer l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et le risque que l'exécution entraîne des conséquences manifestement excessives.

La jurisprudence en la matière est constante s'agissant de l'appréciation des conséquences manifestement excessives dans le cadre d'une procédure d'arrêt de l'exécution provisoire. Elle se fait par rapport à la situation personnelle du débiteur et au risque de non-remboursement de la somme qui serait versée au créancier, en cas d'infirmation de la décision entreprise[4].

Par conséquent, si la radiation est prononcée, l'appelant qui n'a pas convaincu sur l'existence de conséquences manifestement excessives peut saisir le Premier Président d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire, après ou concomitamment à la procédure de radiation.

Stratégies procédurales

Toutefois, la saisine du Premier Président n’est pas toujours la stratégie la plus adaptée. En effet, procéduralement, et selon le cas d'espèce, il peut être plus facile d’obtenir le rejet d’une demande de radiation que d'obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire puisqu'il faut démontrer, outre l'existence de conséquences manifestement excessives, qu’il existe des chances sérieuses d’annulation ou de réformation de la décision entreprise. Ce constat nécessite l'examen du fond du dossier.

En faisant le choix de saisir le Premier Président, l’appelant prend le risque d’obtenir une décision qui rejettera sa demande au motif que ses moyens de réformation ne sont pas sérieux. Cette décision, quand bien même elle n’a pas autorité de la chose jugée, est susceptible d'affaiblir sa position devant la Cour amenée à statuer au fond.

Selon les intérêts en présence, il pourrait donc être préférable d’attendre que l’intimé saisisse le Conseiller de la mise en état ou le Premier Président d’une demande de radiation, sans prendre l’initiative d'une procédure d'arrêt de l'exécution provisoire.

Enfin, pour l'intimé, même si la demande de radiation a de bonnes chances de prospérer cette stratégie n'est pas toujours à privilégier. La radiation de l'appel principal empêche la formation d'un appel incident tant que ses effets perdurent. L'intimé qui souhaite contester un chef du jugement qui lui est propre devrait donc privilégier l'exécution forcée de la décision entreprise, que le rejet de la demande de radiation n'empêche en tout état de cause jamais.

[1] Ibid. ; CA Paris, pôle 5 ch. 11, 10 avril 2025, n° 24/14056 ; CA Paris, pôle 4 ch. 10, 26 mars 2025, n° 24/08858 ; CA Aix-en-Provence, 2 avril 2025, n° 24/07363 

[2] CA Paris, pôle 4 ch. 13, 6 mai 2025, n° 24/00077 ; CA Caen, 26 mars 2025, n° 24/00758 ; CA Angers, 26 mars 2025, n° 24/01383

[3] Cass. civ. 2ème, 6 mars 2025, n° 22-19.083 ; Cass. civ. 2ème 9 juillet 2009, n° 08-13.451,

[4] CA Paris, 30 avr. 2025, n° 24/18965

Cet article a aussi été publié dans la lettre Option Droit & Affaires n°725