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Article rédigé par Yarrick Bourquin pour Business Magazine.
L'EST de la République démocratique du Congo est en proie depuis plusieurs décennies à une instabilité permanente, avec la présence de nombreux groupes armés, soutenus par des puissances régionales, qui s'affrontent pour le contrôle de zones riches en matières premières. En effet, cette région regorge de ressources naturelles, soit notamment du lithium ou du cobalt, ingrédients nécessaires à la production de matériel électronique complexe ou de batteries pour véhicules électriques. Par ailleurs, le coltan, qui est un minerai noir contenant du tantale, est extrêmement recherché pour l'industrie aérospatiale ou celle des conducteurs, nécessaires pour la production de smartphones, ordinateurs portables et autres tablettes. Fait notable : 80 % des réserves mondiales de coltan se trouvent dans cette région.
Cette richesse en matières premières attise la convoitise des États voisins comme le Rwanda et l'Ouganda. Les combats actuels qui se déroulent à Goma au Nord-Kivu entre les forces congolaises et les rebelles du Mouvement du 23 Mars (M23) - des anciens militaires congolais qui ont fait sécession - soutenus par l'armée rwandaise, ont plongé ces régions dans une crise sécuritaire qui ne cesse de s'aggraver.
Le Rwanda, perçu comme une économie dynamique, avec un taux de croissance moyen sur 10 ans de 8,6 %, a connu une transformation significative au fil des années, devenant un concurrent sérieux pour Maurice en termes d'innovation et de technologie, s'affichant désormais comme une destination fiable pour les investissements internationaux et les transactions transfrontalières en Afrique. Toutefois, l'escalade de la crise sécuritaire dans la région risque de changer la donne, comme l'explique François de Senneville, associé et Head du Groupe Afrique au sein du cabinet Fieldfisher. « L'escalade du conflit a entrainé des déplacements massifs de populations et une instabilité accrue dans la région. Cette crise sécuritaire a depuis des répercussions significatives sur le centre financier international de Kigali. En effet, l'instabilité politique et les tensions régionales nuisent à la confiance des investisseurs et perturbent les activités économiques et dans ce contexte, les entreprises hésitent à investir dans un environnement marqué par l'incertitude et les risques élevés. Il est évident que cette situation compromet le développement de Kigali en tant que hub
financier régional. », observe-t-il.
Ludovic Verbist, Managing Director d'Aamil Group, rappelle, pour sa part, que l'instabilité sécuritaire est inévitablement un facteur de risque majeur pour les investisseurs étrangers, précisant que « la permanence de la stabilité des institutions et de l'environnement juridique et politique notamment est le facteur principal pour gagner la confiance des investisseurs et utilisateurs d'un centre financier. De plus, il n'est pas impossible que le conflit ne s'étende au Rwanda, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour le pays et surtout pour sa réputation au niveau international. »
Un centre financier devenu attractif
Ces conflits impliquant le Rwanda n'aident pas à promouvoir un environnement stable est propice pour faire des affaires dans le pays. Cela alors que le Kigali International Financial Centre a émergé comme une plateforme de prédilection pour attirer les investisseurs et les fintechs en Afrique, avec de belles perspectives d'avenir, comme il est mentionné dans l'indice mondial des centres financiers (GFCI 36). Kigali occupe la 67€ place dans le classement des centres financiers, et Maurice n'est pas très loin devant, occupant la 60e position. En Afrique, Kigali est dans le Top 3, derrière Maurice et Casablanca, qui maintient sa place de leader en Afrique. Toutefois, en ce qui concerne le classement sur la fintech, Kigali devance Maurice de 14 places. L'indice mondial des centres financiers considère d'autant plus Kigali comme un des centres pouvant jouer un rôle significatif dans les prochaines années.
Si le conflit persiste, peut-on s'attendre à un déclassement du Kigali International Financial Centre par l'indice mondial ? « L'escalade du conflit entre la RDC et le Rwanda présente des défis majeurs pour le centre financier de Kigali. Ces répercussions dépendront de la durée et de l'intensité de cette crise. On ne peut effectivement pas écarter totalement un risque de déclassement de Kigali si le conflit venait à durer. », indique François de Senneville.
Face à cette situation, le Centre financier international de Maurice se retrouve dans une position favorable pour maintenir sa position de leader en Afrique subsaharienne. Les investisseurs étrangers cherchent généralement des juridictions stables et prévisibles, et une situation de crise qui peut se répandre au Rwanda peut positionner Maurice comme une alternative plus sûre et fiable pour attirer plus d'investissements transfrontaliers en Afrique.
« Maurice s'est au fil des années doté des lois et réglementations nécessaires au bon fonctionnement de son centre financier international (CFl) et qui ont permis de développer un CFl reconnu internationalement. Un autre point majeur concerne le respect des règles démocratiques. Le changement de gouvernance et de gouvernement suite aux élections législatives de novembre 2024 s'est fait dans le calme et dans le respect des lois et de la démocratie. », soutient Ludovic Verbist. À l'inverse, les changements à la tête de pays ayant un régime autocratique, voire dictatorial, se passent rarement sans violences. Selon lui, cette maturité des institutions et des acteurs politiques doit être relevée et garantit la stabilité des institutions, qui est nécessaire pour promouvoir la stabilité d'une juridiction.
Trouvant également que la situation à la RDC ouvre des opportunités pour Maurice de se positionner comme une alternative plus sûre dans la région, François de Senneville précise toutefois que le CFI de Maurice devrait se concentrer sur les produits et services financiers de pointe qu'il propose pour maintenir sa position de meilleur centre financier de l'Afrique subsaharienne. Et de conclure :
« Le global business n'a pas besoin d'effets d'aubaines pour devenir une référence dans le temps ; il a besoin que les investisseurs y trouvent les prestataires de qualité susceptibles d'excéder leurs attentes pour contribuer au succès de leurs projets en Afrique. »
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Tirer profit de l'affaiblissement du centre financier de Kigali Alors que l'économie du Rwanda navigue en eaux troubles, Maurice peut capitaliser sur ses atouts pour attirer les investisseurs perturbés par la situation au Rwanda. François de Senneville rappelle que l'insularité de Maurice, qui pouvait apparaître hier comme un point faible, apparaît aujourd'hui comme un cordon sanitaire salutaire entre les entreprises qui choisissent d'investir à Maurice et l'instabilité du Continent. « Ajoutez à cela les technologies de l'information et aujourd'hui l'intelligence artificielle à la disposition des sociétés de gestion locales pour permettre de mieux servir les entreprises pour comprendre pourquoi ces dernières devraient choisir Maurice, non pas pour échapper à l'instabilité au Rwanda mais pour y trouver les conditions de leur développement sur le long terme. », soutient-il. Pour Ludovic Verbist, une manière de renforcer le positionnement du CFI de Maurice serait de revenir à l'organisation de missions à l'étranger visant à promouvoir le CFI. Enfin, il ajoute qu'il faut faire évoluer le fonctionnement de la Financial Services Commission, « dont l'approche devrait être plus proactive et moins bureaucratique, avec la réduction des délais pour l'obtention des licences. » |
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Cet article a aussi été publié dans la revue numéro 1683 de Business Magazine.