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L'industrie pharmaceutique a toujours traité de grands volumes de données de santé pour les besoins du développement, de la validation, de l'évaluation des produits de santé et du suivi post commercialisation.
Longtemps, il s'est agi de données collectées dans le cadre d'essais cliniques, mais, depuis quelques années, ce sont également les données de vie réelle - non pas collectées dans le cadre de la recherche mais dans le cadre des soins - qui sont convoitées.
Ces données peuvent provenir des dossiers informatisés de patients, de la pharmacovigilance, de registres, de dispositifs médicaux numériques, de bases de données publiques, ou d'objets connectés ou questionnaires patients, et être collectées tout au long du parcours de soins.
Leurs conditions d’accès aux données restent néanmoins fragmentées et complexes, à l’échelle nationale ou européenne.
Concilier les impératifs de secret médical, de vie privée, de protection des données de santé, d'une part, et d'ouverture des conditions d'accès au bénéfice de la recherche et de l'innovation d'autre part, reste un défi à relever au niveau européen afin de favoriser une concurrence saine entre les acteurs de l'industrie sur le marché européen.
Les données de santé, un atout concurrentiel mais affecté d'un accès fragmenté
Les données de santé sont indispensables tout au long du cycle de vie du produit, de la recherche préclinique jusqu'au suivi post commercialisation.
S'agissant de l'accès aux données de santé, la principale difficulté tient à "l'infrastructure fragmentée, sur le plan de la réglementation, des données et des moyens techniques, qui rend difficile le déploiement de solutions d’IA à l’échelle d’un pays ou par-delà les frontières"[1], selon les termes de l'OCDE.
La France par exemple dispose "d’un patrimoine de données de santé très riche, dont l’utilisation est croissante, mais qui demeure encore cloisonné et peu interopérable"[2]. En effet, le Système National de Données de Santé (“SNDS”), l'une des plus importantes bases de données de santé européennes, est notamment destinée à la recherche, aux études, à l'évaluation et à l'innovation dans les domaines de la santé et de la prise en charge médico-sociale.”[3]
Néanmoins, l'organisation très complexe de la base de données requiert une expertise et un temps d’appropriation élevé, les formalités préalables et le délai d’accès très long aux données sont encore considérées comme constituant une limite à l'innovation[4].
La loi de "simplification de la vie économique"[5] devrait participer à alléger le poids des formalités préalables, en encourageant l'élaboration de méthodologies de référence et référentiels par la CNIL et instituant ainsi la déclaration de conformité comme la procédure de droit commun.
Reste que le besoin d'un cadre inclusif et durable pour l’utilisation secondaire plurinationale des données de santé électroniques par les industriels était prégnant, et commandait que l'Europe se dote d'une infrastructure transfrontière offrant des conditions d'accès aux données de santé standardisées et simplifiées.
Perspective d'un cadre harmonisé d'accès aux données pour des conditions concurrentielles saines
Le 24 avril 2024, le règlement relatif à l'Espace Européen des Données de Santé ("EHDS") a été adopté par le parlement européen, constituant la première application sectorielle issue du règlement sur la gouvernance des données.
Pour mémoire, il poursuit deux objectifs principaux : (i) l'utilisation primaire des données à caractère personnel visant à évaluer, maintenir ou rétablir l'état de santé de la personne physique à laquelle ces données se rapportent, et (ii) l’utilisation secondaire des données à caractère personnel, notamment à des fins d'amélioration des soins et traitements, de sécurité des soins de santé, des médicaments et dispositifs médicaux, et de recherche scientifique.
L'espace européen des données de santé vise en particulier à "réduire la fragmentation, l’hétérogénéité et les divisions et à mettre en place un système convivial et intuitif dans tous les États membres".
Une procédure commune standardisée pour la délivrance des autorisations d'accès et de traitements de données de santé sera mise en œuvre, avec des redevances proportionnelles au coût de mise à disposition des données, ne restreignant pas la concurrence.
A cet égard, et outre la coopération désormais rapprochée de l'Autorité de la concurrence française et de la CNIL sur les enjeux respectifs de la protection des données personnelles et du droit de la concurrence, l'organisme responsable de l'accès aux données de santé de chaque pays concourra à favoriser l'accès aux données, et la saine concurrence entre les acteurs à cet égard.
Cet article a aussi été publié sur la Revue Lamy de la concurrence du mois d'octobre.