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Le Code du travail français reste peu clair sur le lieu du télétravail. Les accords nationaux n’apportent pas non plus de réponse spécifique au télétravail international, alors même que travailler depuis l’étranger, que ce soit temporairement ou de façon pérenne, impacte fortement la législation applicable à la relation de travail, notamment en matière de sécurité sociale et de fiscalité.
Le Conseil de prud'hommes de Paris, dans un jugement du 1er août 2024 (n°F21/06451), a validé un licenciement pour faute grave pour télétravail depuis l'étranger non autorisé par l'employeur.
Télétravail non autorisé et refus de retour : une faute grave
L’affaire concerne une salariée ayant informé son employeur, après des congés au Canada en 2020, de l’annulation de son vol de retour et demandé de télétravailler jusqu'à la nouvelle date de départ. Sa demande a alors été acceptée. Par la suite, alors qu’elle manifestait son intention de démissionner, elle obtint un accord provisoire pour poursuivre le télétravail depuis le Canada jusqu'à la fin de son contrat. Cependant, la salariée revient sur sa démission et cherche à prolonger ce télétravail, ce qui n'est pas expressément validé par son employeur. Profitant des conditions sanitaires, elle continue néanmoins de télétravailler sans en avertir l’entreprise.
Lorsque son employeur découvre la situation en mars 2021, il lui demande de reprendre en présentiel, ce qu’elle refuse. La procédure de licenciement pour faute grave est alors engagée, l'employeur reprochant notamment :
- l'absence de demande d’autorisation préalable pour télétravailler depuis l’étranger ;
- un manque de loyauté en dissimulant la situation ;
- le refus de retour en présentiel malgré mise en demeure.
La salariée plaide pour l'annulation de son licenciement, invoquant une discrimination liée à son lieu de résidence et une prétendue autorisation de rester au Canada. Néanmoins, le Conseil de prud'hommes estime que la salariée ne prouve pas de discrimination et confirme le licenciement. Selon le tribunal, le maintien de la salariée dans l'entreprise est impossible du fait des risques juridiques encourus : absence d’autorisation canadienne, non-respect du RGPD, et violations répétées des directives de l’employeur.
Les risques juridiques pour l’employeur
Outre la violation des instructions de l’employeur, cette affaire souligne les risques juridiques engendrés :
- Protection des données à caractère personnel : La RGPD impose des règles strictes sur les données personnelles traitées depuis un pays hors de l’Union européenne. La dissimulation de la localisation réelle peut exposer l'employeur à des sanctions pour non-conformité.
- Droit du travail et sécurité sociale : En principe, la sécurité sociale s'applique dans le pays où le salarié travaille. Le télétravail prolongé depuis l’étranger nécessite que l’employeur cotise au régime local, ce qui n’a pas été le cas ici et expose l’entreprise à des poursuites locales.
- Fiscalité : Un salarié travaillant depuis l'étranger peut entraîner la reconnaissance d’un établissement stable, engageant potentiellement l’employeur à des obligations fiscales dans le pays d’accueil.
Une jurisprudence en devenir
Ce jugement pourrait ouvrir la voie à une jurisprudence stricte sur le télétravail depuis l’étranger, marquant un tournant dans l’encadrement de cette pratique. Il rappelle l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse, qui avait validé un licenciement pour faute simple pour un salarié imposant un télétravail non autorisé.
Vers un encadrement renforcé du télétravail
L'essor du télétravail, amplifié par la crise sanitaire, exige des règles claires. Si beaucoup se contentent d'accorder la possibilité de travailler à distance, cette affaire montre l’importance d’un cadre précis, surtout pour le travail à l'international. La mise en place d'une charte ou d'un accord télétravail spécifiant clairement les conditions et les limitations est essentielle pour éviter les conflits.
En cas de télétravail non autorisé, il est crucial pour l’employeur de réagir vite en rappelant les obligations du salarié, et le cas échéant, d'engager une procédure disciplinaire.