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Introduction de l'intelligence artificielle en entreprise : quand impliquer les représentants du personnel ?
À l'heure où l'intelligence artificielle s'immisce de manière croissante dans la vie des entreprises, la détermination du moment auquel les représentants du personnel doivent être consultés sur le déploiement d'applications informatiques recourant à l'intelligence artificielle est importante.
En effet, faute de consultation en temps utile, un Juge peut décider de suspendre le projet d'introduction d'une solution d'intelligence artificielle.
Par une ordonnance de référé rendue le 14 février 2025, une juridiction se prononce pour la première fois à notre connaissance sur la question de la temporalité de la consultation du Comité Social et Economique (CSE) en cas d'implantation de l'intelligence artificielle. Cette décision permet aux entreprises de mieux appréhender leur dialogue social en matière d'intelligence artificielle (TJ Nanterre, réf., 14 février 2025, ord. N°24/01457).
Position des parties
Depuis janvier 2024, l'employeur expérimentait plusieurs outils d'intelligence artificielle « Finovox », « Synthesia », « Notify », « Semji » et « MetIQ ».
Le CSE considérait que ces applications informatiques avaient été mises en œuvre sans attendre qu'il rende son avis. En effet, des accès aux logiciels litigieux avaient été ouverts aux salariés et des programmes de formation étaient déployés sur les nouveaux outils. L'intelligence artificielle était donc utilisée dans l'entreprise assez largement, alors même que l'avis du CSE n'avait pas été recueilli.
Cela constituait une violation de l'article L.2312-8 du Code du travail qui impose, dans les entreprises d'au moins 50 salariés, une consultation du CSE en amont de l'introduction de nouvelles technologies ou de tout projet important modifiant les conditions de travail. Sur ce fondement, le CSE sollicitait la suspension de l'utilisation des nouveaux outils.
L'employeur estimait que la consultation du CSE était prématurée puisque les outils étaient encore en phase d'expérimentation.
Solution dégagée par le Tribunal judiciaire
Le Tribunal judiciaire a posé le principe selon lequel que le CSE devait être consulté même en phase pilote dès lors que le projet "dépasse de simples expérimentations nécessaires à la présentation d'un projet suffisamment abouti" et implique l'utilisation de nouveaux outils, au moins partiellement, par l'ensemble des salariés concernés. Le Juge a donc ordonné la suspension de l'utilisation des outils sous astreinte de
1.000 euros par infraction constatée.
Les enseignements concrets pour l'introduction d'un système d'intelligence artificielle
Les entreprises doivent prendre en considération la consultation préalable du CSE dans leur calendrier d'intégration de l'intelligence artificielle. À ce titre, la mise en place d'une solution d'intelligence artificielle dans l'entreprise ne peut être considérée comme un simple projet expérimental une fois que cette solution commence à être déployée concrètement, même à une échelle limitée.
Pour rappel, le CSE dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis et de deux mois en cas de nomination d'un expert (article R.2312-6 du Code du travail). Ce délai court à compter de la communication par l'employeur des informations nécessaires pour la formulation de l'avis.
La consultation doit permettre au CSE de rendre un avis éclairé. Il faudra donc mettre en mesure les élus de comprendre comment fonctionnent les nouveaux outils d'intelligence artificielle ainsi que leur impact sur les conditions de travail.
L'ordonnance rendue par le Tribunal judiciaire de Nanterre est une décision de première instance. Il sera intéressant de voir si cette décision est confirmée par d'autres analyses de juridictions de premier degré ou d'appel ainsi que par la Cour de cassation. Il n'est pas acquis que tous les juges appliquent aussi strictement l'obligation de consultation de l'employeur. Enfin, il faut noter que l'IA Act - le règlement européen sur l'intelligence artificielle - a, de son côté, prévu que les représentants des travailleurs et les travailleurs concernés soient informés de l'utilisation d'un système d'IA à haut risque avant sa mise en service.