Locations
Cet article a été publié dans le hors-série Droit Social de la Revue Personnel (n°574)
Lorsque se produit une cession, fusion-absorption ou tout autre évènement tel qu'une externalisation ou reprise d'activité entraînant un transfert d'entreprise au sens de l'article L.1224-1 du Code du Travail (anciennement L122-12), les contrats de travail des salariés compris dans le transfert d'entreprise sont automatiquement transférés au repreneur de l'activité.
Cette règle n'a pas été modifiée par la réforme du droit du travail.
En revanche, des changements sont opérés quant au sort du statut collectif des salariés compris dans le transfert.
Comme par le passé, les conventions et accords collectifs qui étaient applicables aux salariés transférés dans leur entreprise d'origine sont automatiquement mis en cause. Seuls les usages et engagements unilatéraux sont opposables au nouvel employeur qui peut les dénoncer.
Une négociation en vue de remplacer en tout ou partie cet ancien statut collectif doit être mené à compter de l'expiration d'un préavis de 3 mois suivant l'évènement générateur. A défaut d'accord intervenu dans un délai de 12 mois à compter de l'expiration du préavis de 3 mois, le Code du Travail imposait jusque-là un maintien des avantages individuels acquis.
Pour mémoire, l'avantage individuel acquis a été défini par la jurisprudence comme celui qui, au jour de la dénonciation ou de la mise en cause, procurait au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel.
En pratique, il était souvent difficile d'inventorier les avantages individuels acquis et leur conservation posaient de nombreuses difficultés liées aux inégalités de traitement qui pouvaient en résulter.
L'article 17 II à IV de la loi Travail du 8 août 2016 a modifié (1) les conditions de la négociation suite à la dénonciation ou mise en cause d'un accord collectif et, (2) a supprimé le maintien des avantages individuels acquis à défaut d'accord.
1. De nouvelles conditions de négociation du statut collectif en cas de transfert d'entreprise :
La loi du 8 août 2016 a assoupli les conditions de la négociation d'un accord collectif et a surtout mis fin à une jurisprudence de la Cour de Cassation qui empêchait la conclusion d'un accord de substitution avant le terme du délai de préavis de 3 mois.
En outre, lorsqu'un accord collectif se trouvait mis en cause, le nouvel employeur était tenu de négocier un accord de substitution, ou à défaut de maintenir les avantages individuels acquis. La loi introduit une alternative à cette situation en permettant au nouvel employeur de conclure un accord d'adaptation pour une durée maximale de 3 ans.
Désormais, à partir du moment où un évènement susceptible d'entraîner un transfert d'entreprise (fusion, scission, cession…) est envisagé, les employeurs des entreprises concernés sont en droit d'entamer des négociations, mais aussi et surtout de conclure un accord de substitution d'une durée de 3 ans maximum.
Cette négociation doit se tenir entre l'employeur de l'entreprise cédante, l'employeur de l'entreprise cessionnaire et les organisations syndicales représentatives qui sont présentes dans l'entreprise employant les salariés dont les contrats sont susceptibles d'être transférés.
Ainsi, au jour où l'évènement qui met en cause l'accord collectif survient, le nouvel employeur pourra appliquer immédiatement l'accord nouvellement conclu avec les organisations syndicales et ne sera pas tenu d'appliquer aux salariés transférés, même temporairement, le statut collectif qui leur était applicable antérieurement.
Ces nouvelles dispositions permettent au nouvel employeur de préparer l'intégration des nouveaux salariés dans l'entreprise et d'aligner progressivement les rémunérations et droits des salariés "entrants" sur ceux des salariés déjà présents.
Si un accord n'est pas négocié à la date de survenance de l'évènement générant la mise en cause, il sera toujours possible pour l'employeur de conclure un accord dans le délai de 15 mois (3 mois de préavis plus 12 mois de survie) qui suit ledit évènement.
Ces nouvelles dispositions peuvent également faciliter la procédure de consultation des Comités d'Entreprise et CHSCT concernés. En effet, les instances représentatives du personnel seront ainsi en mesure d'apprécier les conséquences du transfert sur le sort des salariés concernés.
Dans un schéma idéal, l'entreprise d'accueil n'aura donc plus deux statuts collectifs concurrents à appliquer et l'harmonisation des statuts suite à un transfert d'entreprise sera grandement facilitée.
2. La disparition de la notion d'avantages individuels acquis :
Sous l'ancienne législation, l'employeur qui reprenait des salariés dans le cadre de l'article L. 1224-1 devait conclure un accord de substitution à l'accord mis en cause dans un délai de 12 mois après le préavis. A défaut d'accord dans un délai de 12 mois, il était contraint de maintenir les avantages individuels acquis intégrés au contrat de travail des salariés transférés.
La réussite de la négociation était primordiale pour le nouvel employeur, au risque de devoir intégrer au contrat des éléments de rémunération qui font généralement l'objet d'un accord collectif, telle qu'une prime de 13ème mois ou une prime de vacances.
Les syndicats n'avaient alors aucun intérêt de parvenir à un accord de négociation, les salariés bénéficiant automatiquement du maintien de leurs avantages acquis.
Désormais, en cas d'échec des discussions la nouvelle rédaction des deux articles susvisés se limite à imposer à l'employeur de maintenir au profit des salariés "une rémunération dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne peut être inférieur à la rémunération versée au cours des 12 derniers mois".
Il était tentant de penser que la rédaction susvisée permettait désormais au nouvel employeur de maintenir le seul salaire de base.
Cependant, le législateur a tempéré la suppression de la notion d'avantage individuel acquis en précisant que le maintien de salaire à défaut d'accord devait s'entendre de la rémunération visé à l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale.
Or, ledit article vise non seulement le salaire mais aussi les indemnités de congés payés, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent ainsi que les avantages en nature.
Force est de constater que le champ de la rémunération à maintenir au profit du salarié en cas d'échec des négociations couvre donc un périmètre qui peut inclure de nombreux éléments de rémunération qui entraient antérieurement dans la notion d'avantages individuels acquis, comme la prime de 13ème mois, un avantage en nature voiture ou téléphone...
En dépit de la suppression de cette notion, si l'employeur de l'entreprise d'accueil ne conclut pas d'accord de substitution et que ces avantages n'existent pas dans son statut collectif, les disparités entre les salariés sont toujours vouées à exister.
Surtout, l'article L242-1 du Code de la Sécurité sociale dispose que "sont considérées comme rémunération toutes les sommesversées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment…".
La liste n'est donc pas exhaustive et l'on peut imaginer des contentieux à venir sur certains avantages accordés par l'ancien employeur qui ne serait pas accordés par le nouvel employeur. Il reste donc matière à difficultés qui seront traitées au fur et à mesure par la jurisprudence qui ne manquera pas de se développer.
3.L'insertion d'un tempérament dans le principe "à travail égal, salaire égal" lors d'un transfert conventionnel :
La loi Travail a également introduit une exception au principe susvisé dans le cadre d'un transfert conventionnel réalisé entre deux entreprises prestataires se succédant sur un même site.
Dans une telle hypothèse, le nouvel article L. 1224-3-2 du Code du Travail prévoit que "les salariés employés sur d'autres sites de l'entreprise nouvellement prestataire et auprès de laquelle les contrats de travail sont poursuivis ne peuvent invoquer utilement les différences de rémunération résultant d'avantages obtenus avant cette poursuite avec les salariés dont les contrats de travail ont été poursuivis".
Autrement dit, les salariés présents chez le nouveau prestataire antérieurement au transfert conventionnel ne peuvent demander à leur employeur de bénéficier des mêmes avantages en matière de rémunération que ceux qui font l'objet du transfert.
Deux nuances à l'application de cet article sont à envisager.
Tout d'abord, l'article L. 1224-3-2 vise expressément des salariés employés sur d'autres sites. La rédaction laisse donc à penser que si des employés présents antérieurement au transfert conventionnel chez le nouveau prestataire venaient à être affectés sur le nouveau site, ils seraient en droit de prétendre au bénéfice des mêmes avantages.
Par ailleurs, le législateur a à priori subordonné l'application de cet article au cas de transferts conventionnels qui sont réalisés "en application d'un accord de branche étendu".
Cette disposition a vocation à s'appliquer à des entreprises dont l'effectif peut varier en fonction de l'obtention ou de la perte d'un marché, auquel cas la convention collective de branche devra prévoir les modalités du transfert conventionnel (exemple : la convention collective de la propreté et celle des entreprises de la prévention et de sécurité prévoient le transfert des salariés vers l'entreprise entrante en cas de perte de marché).
A défaut d'une stipulation conventionnelle de ce type, l'application de l'article L. 1224-3-2 ne sera pas opposable aux salariés.
4. La suppression de l'interdiction de licencier avant un transfert d'entreprise :
Jusqu'à présent, la jurisprudence considérait que l'accord entre le cédant et le cessionnaire visant à supprimer des postes avant éluder l'application de l'article L. 1224-1 rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cette position de la Cour de Cassation a partiellement été remise en cause par la nouvelle rédaction de l'article L. 1233-61 alinéa 3 du Code du Travail qui prévoit désormais que les entreprises d'au moins 1.000 salariés, celles appartenant à un groupe d'au moins 1.000 salariés, ainsi que les entreprises de dimension communautaire ou appartenant à un groupe de dimension communautaire peuvent procéder à des licenciements pour motif économique, à la double condition que ceux-ci s'inscrivent dans le cadre :
- d'un plan de sauvegarde de l'emploi qui comporte le transfert d'une ou de plusieurs entités économiques et ce afin de sauvegarder une partie des emplois ;
- de l'acceptation d'une offre de reprise par l'entreprise cédante suite à l'accomplissement de son obligation de rechercher un repreneur.
Si ces deux conditions sont remplies, le transfert des contrats de travail dans le cadre de l'article L. 1224-1 du Code du Travail se fera dans la limite des emplois qui n'auront pas été supprimés à la date d'effet du transfert.
Conclusion :
Si les mesures susvisées tendent à faciliter et anticiper les conséquences d'un transfert d'entreprise sur le statut collectif des salariés concernés et à permettre l'harmonisation des statuts pouvant coexister au sein d'une entreprise, il n'est pas exclu qu'un contentieux se développe autour de la sélection des salariés repris en cas de fermeture d'un site ou de la persistance d'inégalités de traitement en dépit d'accord d'adaptation.
Ce contentieux pourrait notamment se développer à la faveur de la loi pour la modernisation de la justice du XXIème siècle qui a été adoptée à l'Assemblée Nationalité le 12 octobre dernier et qui introduit, dans le chapitre IV du titre III du livre I du Code du Travail, des dispositions relatives à l'action de groupe en matière de discrimination imputable à un employeur.
Dès que la loi sera promulguée, le Code du Travail comportera ainsi un nouvel article L. 1134-7, permettant à une organisation syndicale représentative d'agir en justice afin de faire établir notamment, que (…) plusieurs salariés font l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif figurant parmi ceux mentionnés à l’article L. 1132-1 et imputable à un même employeur".
L'action pourra avoir pour but la cessation de la discrimination par le biais d'une action portée devant le Tribunal de Grande Instance et mener, le cas échéant, à la réparation des préjudices subis par les salariés.